Je mets en ligne mon mémoire de DU micronutrition exercice et santé, qui reprend le suivi d’une patiente atteinte de fibromyalgie (les annexes avec les réponses aux questionnaires, les schémas, les rappels de physiologie etc, plus « techniques », ne sont pas publiés).
Vous pourrez ainsi avoir un aperçu de la méthode de prise en charge, avec ses tâtonnements parfois, les nombreuses questions, et la mise en place totalement individualisée des conseils d’hygiène de vie. Encore une fois, cet accompagnement ne remplace en aucun cas la prise en charge médicale.
Diplôme universitaire
micro-nutrition, exercice et santé
Université de Poitiers
2016-2017
Prise en charge nutritionnelle et micro-nutritionnelle d’une patiente atteinte de fibromyalgie
Sabine Robin
Docteur en Pharmacie
1- Présentation de la patiente
Madame Annie D., 54 ans, professeur d’allemand au lycée.
Fin janvier 2017, elle se présente à l’officine pour renouveler son traitement « habituel », qu’elle trouve très lourd, peu efficace sur ses douleurs et ses troubles digestifs, et dont elle ne supporte plus les effets indésirables .
L’apparition récente d’un diabète type 2 a été un « coup de tonnerre » dit-elle, qui la décide à prendre sa santé en main.
« J’ai l’impression d’être soignée en pièces détachées, j’ai vu trop de spécialistes, gastro-entérologues, spécialistes de la douleur, endocrinologue, en plus de mon généraliste, je ne veux plus empiler les médicaments ».
Elle souhaite modifier son alimentation et son mode de vie pour réduire ce traitement.
1-1 Prescriptions médicales
Prescription du centre anti-douleur
Duloxétine 60mg/j
Prégabaline 75mg matin et 100mg le soir
Tramadol 100LP 1 matin et soir
Alprazolam 0,25mg matin midi et 0,5mg le soir
Perturbations métaboliques
Hypertension artérielle:
Perindopril 10/ indapamide 2,5mg
Diabète :
Metformine 500mg 3 fois par jour
Hypercholestérolémie
Rosuvastatine 5mg par jour
Troubles gastro-intestinaux
Esomeprazole 40mg par jour
Méteospasmyl 3 à 6 par jour
Ultra levure 200 1 par jour 10 jours par mois
Prévention des récicidives d’une candidose vaginale
Fluconazole 150mg une fois par mois
Madame D. mesure 1m63 et pèse 82kg (IMC 30,9)
Elle pesait environ 60kg à l’âge de 20 ans. (IMC 22,5)
1-2 Antécédents
Annie D. est fille unique. Elle n’a pas d’enfants.
Ses parents (mère, 87 ans, prof de danse, père, 79 ans, instituteur) sont encore en bonne santé, sans surpoids , son père est soigné pour un diabète de type 2 depuis quelques années, sans complications.
Dans l’enfance : rien de particulier (naissance par voie basse). Elle pratiquait régulièrement la danse (modern jazz, une ou deux fois par semaine) depuis le collège et la course à pied (loisirs, commencée vers 16 ans : sans objectif de performance, une demie-heure environ, une ou deux fois par semaine également) .
En 1997 (35 ans), elle est renversée par une voiture en faisant son footing : 12 jours de coma, fractures multiples (bassin, scapulo-humérale, côtes), splénectomie. Elle passe plusieurs mois dans un centre de rééducation. Elle estime avoir bien récupéré et reprend progressivement une activité physique de loisir (natation et vélo elliptique).
En 2002, bouleversement dans sa vie privée, divorce conflictuel et déménagement (change de région).
En 2003, commence à souffrir de douleurs diffuses , attribuées aux séquelles de son accident. Elle commence alors à grossir, prise de poids qu’elle explique par une diminution de ses activités (arrêt lié à l’apparition des douleurs). Elle entre dans ce qu’elle nomme la valse des examens : radios, scanners, IRM…
Tout est «normal », les douleurs sont qualifiées de « psycho-somatiques », elle se voit prescrire des anti dépresseurs (« j’ai tout essayé »).
En 2010, un diagnostic de fibromyalgie est enfin posé.
La fatigue, les douleurs, la conduisent à réduire son activité professionnelle (arrêt des heures supplémentaires, n’anime plus les ateliers de conversation, n’accompagne plus les échanges scolaires en Allemagne, ce qui la désole). Elle met un point d’honneur à ne pas s’arrêter de travailler, mais appréhende les périodes plus chargées de l’année (conseils de classe, réunions parents-profs, surveillance d’examens, corrections et jurys de bac…)
Elle se plaint d’un syndrome de jambes sans repos depuis plusieurs mois, mais ne prend pas le médicament qui a été ajouté (pramipexole) : « j’en ai assez comme ça ».
Gastrite, RGO et intestin irritable sont apparus durant la période du divorce, tous symptômes attribués au stress, et « soignés » en allopathie depuis.
Par ailleurs, elle ne se débarrasse pas d’une candidose vaginale (plusieurs traitements locaux par imidazolés, Fungizone per os, sans succès).
La pré-ménopause a été marquée par des méno-métrorragies, responsables d’une anémie. Mais Madame D. n’ayant pas supporté les suppléments de fer conventionnels , la correction de l’anémie est lente ( la ménopause est installée depuis 2 ans environ).
Le traitement antalgique la soulage peu, mais majore la sensation de fatigue constante (« je lutte en permanence »)
Elle a supprimé le tramadol du matin sans aggravation mais n’a pas réussi à diminuer la prégabaline : la suppression de la prise du matin a engendré des céphalées à chaque tentative d’arrêt .
Un diabète type 2 a été dépisté en juin 2016 . Elle supporte mal la metformine sur le plan digestif, trouvant qu’il accentue les ballonnements et la fréquence des épisodes diarrhéiques. C’est le motif principal de l’entretien : parvenir à normaliser la glycémie pour arrêter la metformine.
1-3 Analyses biologiques (décembre 2016)
Glycémie à jeun 1,4 g/l (sous metformine ) (2,3g/l en juin 2016)
Hb glyquée 9 % (12% en juin 2016)
Triglycérides 5,4 g/l
Cholestérol total 2,1g/l (sous rosuvastatine)
Cholestérol HDL 0, 3g/l
Hémoglogine 11,1g/l (10,7g/l en juin 2016)
Ferritine 4 μg/l ( idem en juin 2016)
SGOT 45 UI/l
SGPT 53 UI/l
γ GT 35UI/l
TSH us 4,2 mU/l (3,9mU/l en juin 2016)
CRP 7mg/l
Sans supplémentation en fer, l’hémoglobine remonte lentement, la ferritine demeure basse : les stocks ne se reconstituent pas. Même si les hémorragies ont cessé avec la ménopause, les troubles liés à l’anémie persistent, notamment l’essoufflement au moindre effort. L’anémie majore également la fatigue.
La fonction hépatique est altérée. Plusieurs médicaments peuvent l’expliquer, mais aussi l’inflammation chronique.
La TSH a sensiblement augmenté en 6 mois, la courbe est ascendante depuis au moins 3 ans. La recherche d’anticorps anti thyroïdiens circulants (anti Tg et anti-TPO) n’a pas été réalisée.
1-4 Les questionnaires
Madame D. a déjà apporté des modifications à son alimentation depuis la découverte du diabète : remplacement du sucre blanc par du rapadura, réduction des viennoiseries et substitution des yaourts liquides aromatisés à boire par des laitages enrichis en probiotiques . Elle prend de préférence des sodas allégés ou « sans sucre ». Elle est déçue que ces premiers efforts n’aient pas permis la moindre perte de poids.
1-4-1 Le questionnaire alimentaire
En remplissant le questionnaire alimentaire, Annie D. me fait part de sa surprise quant à la quantité de sucre absorbée via les sodas et en-cas , ainsi que la pauvreté en légumes et fruits. Elle n’en avait pas vraiment pris conscience.
Besoins en iode
La quasi absence de produits de la mer (2 ou 3 par mois) laisse penser que la couverture des besoins en iode n’est pas assurée.
D’autre part, Madame D. cuisine peu, et n’utilise donc pas de sel iodé qui compenserait un peu la pauvreté dans l’alimentation.
Même avec un apport de l’ordre de 10 à 20 μg/100g dans les produits laitiers (Ciqual), l’apport quotidien se situe aux alentours de 35-65 μg , alors que les apports recommandés sont de l’ordre de 150 μg. Il serait intéressant de doser la iodurie pour confirmer l’hypothèse du déficit d’apport.
Besoins en acides gras
De même, l’absence de poissons, notamment des poissons gras, la présence exclusive d’huile de tournesol ou d’arachide, évoque un déficit en ω 3 et un rapport ω 6 / ω 3 largement excédentaire,
En revanche la part l’acides gras saturés est importante (viandes, charcuteries, pain industriel, viennoiseries, laitages)
Besoins en fer
L’apport carné doit couvrir les besoins, néanmoins, il serait judicieux d’apporter un complément bien toléré, au vu de la ferritine effondrée et l’hémoglobine qui demeure basse . Annie D. ne supporte pas les médicaments type Tardyferon , Fero-grad, Inofer (douleurs abdominales et constipation aggravées).
Besoins en magnésium et sélénium
L’absence d’aliments sources de Mg (légumes secs, fruits secs) engendre aussi un déficit d’apport. La pauvreté du régime en noix, fruits de mer etc laisse présager un déficit en sélénium. Annie D. prend régulièrement des ampoules de sélénium « pour la fatigue » (0,96mg/j)
Apports en sodium
La prédominance des produits tout prêts fait craindre un apport excessif en sel, préjudiciable pour la pression artérielle comme pour l’ostéoporose via l’homéostasie calcique (14).
1-4-2 Le questionnaire de vulnérabilité digestive (QVD)
Le score atteint 12, évoquant fortement une hyperperméabilité intestinale.
Il serait intéressant de confirmer cette hypothèse par un dosage de LBP, mais le coût est prohibitif.
1-4-3 Le questionnaire de dépistage des déficits micronutrinionnels (DDM)
Le score total à 60 ne surprend pas compte tenu du diagnostic de fibromyalgie.
Le score A a permis de faire préciser un détail : fourmillements et mouvement des jambes au repos, en particulier lors de la phase d’endormissement. Le médecin avait déjà évoqué à ce propos des « jambes sans repos ». Annie D. trouve son sommeil peu réparateur, avec beaucoup de réveils nocturnes et un endormissement difficile.
Le score B à 13 va dans le sens d’une d’une dysbiose et d’une hyperperméabilité intestinale
Le score C à 9 évoque aussi l’hypothèse de l’HPI avec exacerbation des douleurs perçues : l’intestin perméable laisse passer antigènes alimentaires et peptides.
1-4-5 Le score composite de Francis
Destiné à quantifier l’inconfort digestif.
Le score est à 325 à J0.
1-4-6 Le questionnaire Dopamine-Noradrénaline-Sérotonine
Les 3 scores sont élevés , avec D à 16, N à 11 et S à 18.
Le déficit de synthèse en neuromédiateurs est une hypothèse, par le déficit en fer cofacteur des synthèses , mais il est probable que d’autres facteurs entrent en compte : « encrassage » lié aux peptides ou toxines en rapport avec une hyperperméabilité intestinale , des modifications de structure membranaire en rapport avec un déficit en acides gras ω-3.
1-5 Synthèse
Annie D. présente une association de troubles : douleurs , fatigue, troubles digestifs, troubles du sommeil et de l’humeur, hypertension artérielle, diabète.
Les questionnaires sont en faveur d’une hyperperméabilité intestinale : le DDM à 60, le DNS fortement altéré pour les 3 médiateurs. Les exorphines (issues du gluten et des caséines) qui passent ainsi la barrière intestinale altérée majorent douleur et anxiété. Les endotoxines sont aussi responsables des dysfonctionnements de l’insuline et de l’ « encrassage » des récepteurs aux neuromédiateurs. Cette hyperperméabilité intestinale peut aussi être entretenue par la consommation régulière d’édulcorants.
La dysbiose est probable, avec une candidose chronique, Annie D. signale aussi des mycoses des plis récidivantes.
Cette candidose est le point-clé de la prise en charge (15), par ses conséquences sur la trophicité intestinale, le fonctionnement cérébral et le système immunitaire, impliqué dans l’apparition d’un diabète type 2.
La chronicité des symptômes ne laisse pas de doute sur l’implication du système immunitaire.
Lors de son accident en 1997, elle reçoit un traitement par antibiotique large spectre suite à une infection et un retard de cicatrisation au niveau du bassin, puis, suite à la splénectomie, un traitement antibiotique pendant 3 ou 4 ans (Oracilline), et des vaccinations anti pneumococciques.
Le système immunitaire est déjà bien mis à contribution lors de cet épisode et le microbiote intestinal soumis à rude épreuve (aucune mesure d’accompagnement n’est alors mise en place).
Les 5 années suivantes, rien de notable, jusqu’en 2002 : le divorce et le déménagement sont, selon ses termes, un véritable séisme.
Déprime, fatigue, changement de régime alimentaire (plus envie de faire la cuisine, s’oriente vers fast-food et plats préparés).
C’est ce qui met le feu aux poudres : début des douleurs, prise de poids, installation de ce qui sera nommé fibromyalgie en 2010.
Le questionnaire alimentaire éclaire quelques points :
la prédominance des graisses saturées (viennoiseries, restauration rapide, charcuteries) et des ω 6 (huile de tournesol) n’est pas favorable à la fluidité membranaire. Les ω 3 sont à peu près absents de la ration alimentaire.(pas de poissons gras, pas d’huiles de colza, noix, chanvre ou cameline). De ce fait, le score élevé au DNS s’explique en partie par la difficulté de modulation des récepteurs synaptiques aux neuromédiateurs.
Le déficit en ω 3 affecte aussi l’activité de l’insuline par une moindre efficacité de l’internalisation du glucose et de ses récepteurs si la fluidité membranaire est affectée.
La consommation de gluten et de sucre est importante, en lien avec la candidose, l’apport global en sucres et glucides entretient le diabète
la pauvreté en légumes et fruits est en faveur d’une alimentation acidifiante
l’absence de légumineuses, fruits secs laisse augurer un déficit en magnésium
la quasi absence de produits de la mer ne permet pas de couvrir les apports en iode, il serait intéressant de doser une iodurie , d’autant que la TSH augmente régulièrement au fil du temps. Si la fonction thyroïdienne n’est pas optimale, la lipolyse sera plus difficile. C’est un facteur de plus de résistance à la perte de poids.
Le déficit en fer objectivé par le dosage de ferritine est en rapport avec le score élevé au DNS, le fer étant cofacteur de la synthèse des 3 neuromédiateurs.
D’autre part, ce déficit en fer ralentit la lipolyse et est un facteur aggravant de son syndrome des jambes sans repos.
La prise de statines pose plusieurs questions : les myalgies liées à cette classe pharmacologique sont fréquentes. Est-il possible qu’elles viennent s’ajouter aux douleurs fibromyalgiques ? Dans ce cas, si un hypocholestérolémiant demeure justifié, peut-on envisager de changer de classe (fibrate ou ézétimibe) ?
Par leur mode d’action, les statines induisent une diminution du coenzyme Q10, dont on sait le rôle protecteur tissulaire et immunitaire. Il serait judicieux de vérifier le statut en CoQ10, mais le prix de l’analyse est rédhibitoire pour Annie D.
Les signes de souffrance hépatique sont peut-être à relier à la prise de certains médicaments, statine, fluconazole notamment.
Si la fonction hépatique est perturbée, une partie du tryptophane est détournée de la synthèse de sérotonine au profit d’une substance protectrice la vitamine B3. Il sera judicieux de soutenir la fonction hépatique.
1-6 Proposition initiale de prise en charge (31 janvier 2017)
1-6-1 Volet nutritionnel et micronutritionnel
Le traitement par metformine impose une certaine vigilance et exclut des périodes de jeûne glucidique afin de se prémunir d’une éventuelle acidose lactique (bien que les acidoses lactiques ne surviennent habituellement qu’en cas de jeûne prolongé).
La prise en charge nutritionnelle a 4 objectifs principaux :
la candidose digestive
la réparation de l’intestin
l’initiation de la perte de poids
la maîtrise de la glycémie.
Devant l’importance de la candidose, il me semble essentiel de procéder à une éviction du gluten et de la caséine pendant plusieurs mois. Je propose un « essai » d’un mois pour évaluer l’efficacité clinique de la mesure et surtout prendre le temps de la mise en place.
Annie D. réalise alors que cette éviction va bouleverser de fond en comble sa manière de s’alimenter : plus de plats industriels, de céréales, de viennoiseries, de sandwichs… « Mais qu’est-ce que je peux manger alors ? Des lentilles et des poireaux ? Mais je ne peux pas, ça me fait mal au ventre. Et vous savez bien que je suis accro au sucre… »
Nous essayons alors de mettre en place une « journée-type » :
introduction d’aliment protéiné au petit-déjeuner afin d’apporter les acides aminés (tyrosine notamment) nécessaires aux synthèses de dopamine et noradrénaline (œuf, jambon, blanc de poulet, poisson fumé occasionnellement (moue dubitative), flocons d’avoine pure ou semoule de maïs avec un lait végétal (évitons le soja qui pourrait favoriser une augmentation de la TSH chez la femme (3).
Éviter les édulcorants de synthèse, favorables à l’ hyperperméabilité intestinale , la stevia pure est possible si le manque de sucre se fait sentir. Il est aussi envisageable d’ajouter quelques fruits secs, ce qui constituera un apport de magnésium et de fibres bienvenu.
La collation du matin pose un autre problème : qu’est-ce que je vais prendre avec mon café ?
Devant le bouleversement des habitudes, nous convenons pour le moment de garder le café du matin . Il faut remplacer (ou supprimer) la viennoiserie : « autant m’en passer ». Si la fringale se présente, quelques amandes, noix ou noix du Brésil apporteront un peu de minéraux, magnésium et sélénium
Nouvelle difficulté avec le déjeuner : 3 par semaine au lycée, les autres à la maison.
Au lycée, l’habitude est de passer à la croissanterie voisine pour la formule de base (sandwich + flanc + soda). La solution de la lunch box s’impose d’elle-même. Mais quoi mettre dedans ? Pour les féculents, le choix est plus large que Madame D. ne le craignait (riz, pommes de terre, polenta, millet, sarrasin, quinoa…), des légumes « doux » (courgettes sans pépins, haricots verts sans fils, carottes), un morceau de viande ou de poisson (elle est prête à essayer un peu de saumon ou de cabillaud, voire d’anchois) et une compote « maison » sans sucre ou un fruit bien toléré.
Pour l’assaisonnement, remplacement de l’huile de tournesol par une huile de colza-noix de première pression à froid.
Même base pour les déjeuners pris à la maison,
Pour la pause de l’après-midi, elle craint la fringale si elle n’a pas son rituel gâteau. La proposition d’un fruit ne l’enchante pas, mais un ou deux carrés de chocolat noir avec quelques noix , amandes ou pistaches sont acceptables.
La structure du dîner se rapprochera de celle du déjeuner.
Annie D. n’a pas l’habitude de s’hydrater, pas d’eau avec les repas. Remplacer les sodas par de l’eau la fait grimacer, les eaux riches en magnésium lui font mal au ventre : elle préfère essayer des tisanes , j’y reviendrai.
Sur le principe, Annie D. est d’accord. Elle ne se cache pas la difficulté à suivre le programme. Ce qui lui semble le plus compliqué est de se remettre à cuisiner un minimum. Et de faire le vide dans ses placards !
Ces modifications permettent
de rééquilibrer le ratio ω 3/ ω 6 (augmentation des ω 3 par l’huile d’assaisonnement et les poissons gras), réduction des ω 6 (plats industriels et tournesol),
d’augmenter sensiblement les apports en minéraux, fibres et vitamines hydrosolubles (même si dans cette première étape la part des légumes n’est pas encore bien élevée).
D’augmenter les apports en iode
de réduire les aliments acidifiants et le sel de la ration
« Et si je n’y arrive pas ? »
Les « glutomorphines » engendrent un phénomène quasi addictif , que la baisse de la sérotonine (score S du DNS à 18) ne va pas contribuer à améliorer. Ceci posé, Annie D . fait le parallèle entre les difficultés attendues et celles auxquelles sont confrontés les anciens fumeurs lors de leur sevrage.
Je lui demande de noter ce qui se passe en cas d’écart : tant sur le plan digestif que sur le plan douleurs et humeur.
Toujours dans le cadre de la stratégie anti-candida, nous mettons en place les mesures anti moisissures, sur le modèle proposé par Grégoire Cozon (16)
arrêt de l’Ultralevure, suppression des fruits et légumes trop murs, conservation au congélateur plutôt qu’au réfrigérateur pour éviter les fermentations, méfiance vis-à-vis des fruits secs bio …
1-6-2 Le microbiote et phytothérapie
La lutte contre le Candida passe par la prise de Lactobacillus helveticus LA401, 10 milliards de germes par jour.
Annie D. souhaite compléter sa nouvelle alimentation avec des tisanes.
Je lui propose un mélange assainissant avec Lapacho Tabebuia impetiginosa (4, 5), giroflier Eugenia caryophyllata (6), origan Origanum vulgare (7), topique avec matricaire Chamomilla recutita (8) et souci des jardins Calendula recutita (9, 10 , 11) et antispasmodique (marjolaine, mélisse Melissa officinalis (12) qui viennent compléter la matricaire), à raison d’une cuillerée à soupe pour 300ml d’eau, 2 tasses par jour. Ajouter une cuillerée de noyer Juglans regia (13) en cas de diarrhée (antifongique et réparateur de la trophicité intestinale, mais très riche en tanins ellagiques, ce qui lui confère amertume et astringence )
Pour faciliter l’action des probiotiques, je recours au macérat-mère de bourgeons de noyer Juglans regia (17) 15 gouttes le matin.
Parallèlement à l’apport en probiotiques, un complément cicatrisant est associé, à base de glutamine, zinc, thé vert et vitamine A.
Dans un premier temps, et pour ne pas majorer l’inconfort, je n’ai pas introduit de prébiotiques, qui avaient été mal supportés précédemment.
La correction du déficit en fer est souhaitable, tant pour réduire les symptômes de l’anémie que pour améliorer les impatiences des jambes : je propose le Fer guanylor associé au cuivre, dont la tolérance digestive est habituellement excellente, à raison d’un comprimé par jour pour commencer.
1-6-3 Volet remise en mouvement
Dans le cas d’Annie D., la remise en mouvement est essentielle.
La remise en mouvement est à la fois souhaitée et redoutée par Madame D.
D’une part, elle a bien conscience du bénéfice immédiat qu’elle peut en espérer, tant sur le plan physique que psychologique. D’autre part, elle évoque la fatigue constante, les douleurs permanentes, l’essoufflement lié à l’anémie.
Elle exclut d’emblée catégoriquement la course à pied (trop violent et lui rappelant les circonstances de son accident) et le vélo (peur des voitures).
En revanche, il semble raisonnable de commencer par la marche, à un rythme soutenu : l’objectif de 30 minutes 3 fois par semaine au rythme « je peux parler mais pas chanter » semble réaliste.
Reste à placer les trois séances hebdomadaires de 30 minutes dans l’emploi du temps…
Pour le moment, elle ne sent pas capable de marcher 30 minutes.
Afin d’initier la remise en mouvement sans engendrer de découragement, je propose des marches de 15 minutes : il s’avère que c’est à peu près le temps de trajet à pied domicile-lycée. Madame D. se motive sur ce rythme : un aller-retour domicile-lycée 2 fois par semaine et une marche de 30 minutes (ou 2 fois 15 minutes selon la douleur et la fatigue) le week-end.
2- Premier bilan (14 mars 2017) : six semaines
Le suivi de l’alimentation a été très difficile les trois premières semaines, notamment en fin de journée avec des envies de sucre très violentes. J’avais proposé la prise de Griffonia (2 gélules d’extrait à 185mg par jour) pour améliorer la voie sérotoninergique lorsqu’Annie en avait fait part, à la fin de la première semaine.
Une glycémie à jeun la semaine précédente est encourageante : 0,89 g/l, l’hémoglobine glyquée n’a pas été dosée.
Madame D. décide de réduire la metformine à 500mg/j (son médecin lui prescrit 2x500mg/j). La statine est suspendue en attendant un nouveau bilan lipidique dans 3 mois.
Sur les signes digestifs : amélioration très nette des douleurs abdominales et des gastralgies, les épisodes diarrhéiques s’estompent. Madame D. n’a pas pris de fluconazole, sans nouvelle manifestation clinique de la mycose.
Sur la fatigue, pas de changement, mais constate un endormissement moins long les jours « de marche » .
La remise en mouvement a été moins difficile qu’attendue : pas plus de douleurs musculaires ou articulaires, mais l’essoufflement est très pénible (la cardiologue avait éliminé toute cause cardiaque, attribuant cet inconfort à l’anémie).
Annie D. note avec plaisir que les douleurs dorsales sont moins vives depuis quelques jours.
Le fer n’était pas bien toléré, il semblait provoquer des nausées. Je l’ai remplacé au bout d’une dizaine de jours par un bisglycinate de fer à 25mg qui ne donne plus de troubles.
Perte de poids de 3 kg en 6 semaines : très motivant pour Madame D ; qui passe de nouveau sous la barre symbolique des 80kg.
En ce qui concerne les écarts : un paquet de madeleines « englouti » un soir s’est traduit par une diarrhée et crise douloureuse la nuit suivante.
Même constat après un dîner pizza- tiramisu : ballonnements et diarrhée, et recrudescence des douleurs dorsales.
Les questionnaires à 6 semaines
DDM à 40 (59 à J0), 3 items à 3 et 5 rubriques >5
Francis à 165 (325 à J0)
DNS respectivement à 14, 9 et 14
La franche amélioration des signes digestifs, la diminution de la glycémie ont décidé Annie D. à poursuivre l’expérience. Les 6 mois d’éviction ne semblent plus impossibles à tenir. Ce qui manque le plus est le pain : je lui propose une recette de « soda bread » à base de farine de maïs et de châtaignes, le petit-lait traditionnel remplacé par lait d’amande + jus de citron, utilisant le bicarbonate de sodium comme agent levant et non de la levure de boulanger.
La consommation de poissons est passée à 3-4 portions par semaine, dont au moins deux fois des petits poissons gras, les crevettes et les coquillages ont fait leur apparition, ils sont bien tolérés.
La consommation de légumes a augmenté, la fréquentation du marché local est une découverte, des légumes réputés indigestes sont introduits sans dommage (navets, céleri, poireaux…)
Annie D. continue la tisane (2 – 3 tasses par jour).
L’apport de magnésium demeure faible, je propose d’ajouter un complément (Mg marin-taurine).
Les symptômes d’impatience dans les jambes s’atténuent.
La prochaine prise de sang est prévue fin avril : glycémie à jeun, Hb glyquée, numération , ferritine, bilan hépatique et TSH.
On continue les probiotiques et les bourgeons de noyer, mais Annie D. ne veut pas ajouter de prébiotiques de peur des inconforts déjà expérimentés précédemment.
3- Deuxième bilan (9 mai 2017) 3 mois
Annie D. arrive avec le sourire : beaucoup d’indicateurs positifs.
Les troubles digestifs ont presque disparu, ballonnements et diarrhée réapparaissent seulement après de « gros écarts » (gâteau d’anniversaire, pot de départ avec biscuits et petits-fours), en revanche un « café gourmand » au restaurant n’a pas eu de conséquences, mais précise Annie, le repas avait été « sage ».
Les envies de sucre du soir sont moins fréquentes et moins pressantes.
Les dernières biologies :
Glycémie 0,95g/l
Hb glyquée 7,1 %
Hb 12,5g/l
Ferritine 9 μg/l
TSH 3,8 UI
SGOT 28 UI/l
SGPT 19UI/l
Les douleurs sont moins intenses et disparaissent même souvent en fin de matinée.
La fatigue en revanche est toujours présente. Elle impose toujours des pauses dans la journée, mais Annie D. a intégré systématiquement des temps de calme dans son emploi du temps. Elle s’est inscrite à un cours de méditation, qui lui est bénéfique.
La perte de poids atteint 8kg .
Le traitement médicamenteux s’allège : le généraliste a donné son feu vert à l’arrêt de la metformine (glycémie à surveiller de près) et le traitement anti hypertenseur se réduit à périndopril 10mg (suppression du diurétique)
Le fluconazole n’a pas été renouvelé, sans épisode clinique de mycose.
Annie D. a cessé de prendre le Météospasmyl et tente de réduire l’ésoméprazole (20mg par jour au lieu de 40)
Une consultation est prévue au centre anti-douleurs dans deux semaines, avec l’objectif de réduire puis d’arrêter la duloxétine et la prégabaline, déjà réduite en accord avec le médecin traitant à 50mg matin et soir.
Le tramadol est en cours d’arrêt (50mg par jour), l’alprazolam de la journée n’est plus systématique, celui du soir est plus difficile à arrêter.
Quant à la reprise d’activité, elle semble bien installée : les trajets lycée-domicile sont désormais toujours à pied, l’essoufflement est moins gênant. Annie s’est inscrite à l’aquagym .
Elle souhaite continuer à prendre des tisanes , je lui propose un mélange de plantes toniques sans caféine pour le matin (2): cannelle Cinnamomum zeylanicum (régulateur de la glycémie)-romarin Rosmarinus officinalis (cholagogue et cholérétique)- et karkadé Hibiscus Sabdariffa .
Les modifications alimentaires sont bien installées, avec une réintroduction de petites doses de fromage de brebis, 2 ou 3 fois par semaine au petit-déjeuner.
Annie consomme désormais poissons et fruits de mer au moins 3 fois par semaine, la charcuterie seulement occasionnellement, et un ou deux fruits chaque jour.
Plus d’huile de tournesol dans les placards, colza et noix à froid et olive à chaud.
Questionnaires à 3 mois :
DDM à 23, 1 seul item à 3 (médicament quaotidien), aucune rubrique >5
Francis à 75
DNS : 10 ; 6 ; 11.
4- Troisième bilan : 30 juin (5mois)
Malgré une charge de travail importante ces dernières semaines, Annie est contente d’avoir pu garder le cap : en déplacement pour faire passer les épreuves du bac, elle s ‘est organisée pour marcher sa demie-heure quotidienne, garder les séances de méditation et des repas bien structurés.
La perte de poids se ralentit un peu, elle atteint 11 kg au total : 71kg. Annie s’est fixé pour objectif de revenir à 65kg d’ici à la fin de l’année.
Les douleurs sont considérablement réduites, les troubles intestinaux ont quasi disparu. Le régime sans gluten est adopté, avec quelques écarts ponctuels, ce qui facilite la vie sociale sans incidence sur la santé.
En ce qui concerne le traitement allopathique, le sevrage en prégabaline se termine (25mg le soir un jour sur deux encore pendant 2 semaines puis arrêt), la duloxétine est arrếtée, il reste le périndopril, diminué à 5mg et un alprazolam « de temps en temps » (moins de dix comprimés au total ce mois de juin, malgré le stress du bac!). Annie a décidé de substituer la passiflore à l’alprazolam dans la mesure du possible.
Le complément en fer sera pris le temps nécessaire à la normalisation du taux de ferritine.
Les dernières biologies :
Glycémie 0,92g/l
Hb glyquée 6,9 %
Hb 13,2g/l
Ferritine 13 μg/l
Cholestérol total 2,30g/l : surveillance à poursuivre, pas de nouveau traitement pour le moment.
6- Conclusion
La fibromyalgie est une affection qui mène souvent les patients de médecin en médecin, avec des traitements symptomatiques qui s ’empilent au fil du temps. La mise en évidence d’un point de départ unique (l’intestin hyperperméable et un microbiote perturbé) permet de relier les symptômes et d’attaquer la cause.
Dans le cas de madame D., une chaîne d’événements a abouti à la maladie.
Madame D. a gardé l’énergie de se lancer dans une approche non conventionnelle, regardée avec une réticence parfois amusée souvent agacée par le corps médical. Néanmoins, le soulagement est là, même si tout n’est pas réglé, l’amélioration a été très nette et c’est un « cercle vertueux »qui s’est mis en place.
Au-delà de la mise en route de sa « révolution alimentaire » comme elle l’appelle, Annie D. a pris conscience de l’impact des choix alimentaires sur sa santé globale : poids, troubles digestifs, troubles de l’humeur et sur le fait que loin d’être un assemblage d’organes indépendants, le corps est un tout.
Bibliographie
Ciqual https://pro.anses.fr/TableCIQUAL/index.htm
2 Phytothérapie 2012 10:313-318
3 Public Health Nutr. 2016 Jun;19(8):1464-70. doi: 10.1017/S1368980015002943. Epub 2015 Oct 9.
4 Michel Pierre Les remèdes de A à Z p 374 Ed.du chêne 2015
5 Max Wichtl, Robert Anton Plantes thérapeutiques 2ème éd., pp 593-595
6 Max Wichtl, Robert Anton Plantes thérapeutiques 2ème éd.pp 119-121
7 Jean Bruneton Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales 5ème éd. P 786 Lavoisier, 2016
8 Max Wichtl, Robert Anton Plantes thérapeutiques 2ème éd.pp 369-373
9 Max Wichtl, Robert Anton Plantes thérapeutiques 2ème éd.pp 100-103
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Investigations into the antibacterial activities of phytotherapeutics against Helicobacter pylori and Campylobacter jejuni.
11 M.-A. Mulot Secrets d’une herboriste Ed.Dauphin pp 498-500
12 Jean Bruneton Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales 5ème éd. P 787-789 Lavoisier, 2016
13 Jean Bruneton Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales 5ème éd. P 637-639 Lavoisier, 2016
14 Caudarella, Vescini,Rizzoli, Francuci Salt intake, hypertension, and osteoporosis. J Endocrinol Invest 2009;32(4 Suppl):15-20.
15 Natasha Campbell-McBride Le syndrome entéro psychologique Ed. Nutrition holistique pp 126-127
16 Denis Riché Ne nourrissez plus votre douleur Micronutrition et fibromyalgie p113
17 Franck Ledoux Gérard Guéniot La phytembryothérapie Ed Amyris pp 152-155
Un immense merci à
Annie D., pour votre confiance et votre humour, et les échanges qui ont largement dépassé le cadre du comptoir de la pharmacie !
Denis Riché pour ton enseignement ouvert et vivant
Olivier Dupuy pour votre approche à la fois scientifique et pragmatique
Benoît Dugué pour votre rigueur
Mes collègues Michèle, Valérie, Anne et Stéphanie, pour votre infinie patience devant la désorganisation imposée par mes absences. C’est un plaisir de travailler avec vous toutes.
Je dédie ce travail
à la mémoire de ma grand-mère
à mes parents pour leur soutien inconditionnel
à mes fils pleins d’énergie et de projets
Auteur de l’article: Sabine Robin, docteur en Pharmacie, DU phyto-aromathérapie clinique, DU micronutrition exercice et santé.
L’auteur déclare ne présenter aucun conflit d’intérêt financier avec l’industrie pharmaceutique ou laboratoire ou fabricant de produits ou matériels médicaux.
Dernière mise à jour 11 mai 2018