Volutes d’encens des temples boudhistes et des cathédrales, bâtons d’encens plus ou moins « naturels » et parés de mille vertus: si c’est son aspect spirituel qu’on évoque le plus souvent, l’encens a aussi des propriétés médicinales et la recherche actuelle ouvre des perspectives thérapeutiques.
Un peu de botanique
L’encens est une gomme-résine1 produite par des arbres du genre Boswellia de la famille des Burséracées.
Plusieurs espèces de Boswellia exsudent cette résine, B.sacra Flueck. de Somalie, B.frereana Birdw. ou B.papyrifera (Del.) Hoescht. du Soudan, d’Éthiopie ou d’Érythrée se nomme Oliban ou encens sacré, l’encens indien ou Salai guggal est issu de B.serrata Roxb..
La résine
On utilise la résine des Boswellia: la récolte se fait en deux temps, elle commence au printemps, marque un arrêt avant de reprendre au débit de la saison de mousson. Une incision est pratiquée dans l’écorce du tronc ou des branches, et une lame d’écorce est décollée. La résine qui s’écoule durcit à l’air en deux à trois semaines, selon la chaleur et l’hygrométrie ambiantes, elle est ensuite récoltée à la main. L’encens de fin d’été et d’automne est réputé le plus pur et le plus précieux. Un arbre fournit 3 à 10 kg d’encens, puis doit être laissé au repos durant plusieurs années.
L’UICN2 a classé les arbres à encens dans la catégorie « NT: espèces quasi menacées » de sa liste rouge
Aujourd’hui, les principaux pays exportateurs sont la Somalie, l’Érythrée et l’Inde.
Des usages thérapeutiques
Traditionnellement, les encens sont considérés comme anti-inflammatoires, antiinfectieux et cicatrisants. L’encens faisait partie des ingrédients des thériaques antiques , remèdes presque magiques, antidotes, composés de dizaines de substances (plantes rares, chair de vipère, opium comme dans les formules que Galien préparait pour l’empereur Marc-Aurèle…mais ceci est une autre histoire). Un formulaire pharmaceutique de 1914 fait état de sa présence dans les ingrédients de la thériaque, ainsi que dans les pilules de cynoglosse.
En phytothérapie
On utilise en général l’oliban ou Boswellia carterii.Il semble être un traitement d’appoint intéressant pour des patients souffrant de maladies inflammatoires articulaires, sous forme de compléments alimentaires (à avaler). En médecine ayurvédique, il est utilisé dans des inflammations du tube digestif et des voies respiratoires, d’affections cutanées , dans un cadre de prise en charge globale, notamment avec des mesures physiques, psychologiques et diététiques. L’efficacité dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin n’est pas prouvée dans la littérature scientifique.
L’encens n’a pas le statut de médicament, donc n’est pas soumis aux contrôles stricts avant sa commercialisation. Il est considéré comme complément alimentaire: soyez extrêmement vigilants à la qualité des produits, aux circuits d’approvisionnement, aux éventuels additifs.
En aromathérapie
La résine peut être distillée, on obtient ainsi des huiles essentielles d’encens, différentes selon l’espèce utilisée. Les HE d’encens partagent certaines propriétés : cicatrisantes et antiinflammatoires, pour des pathologies articulaires (arthrose par exemple). Elles sont utilisées en application sur la peau, après dilution dans une huile végétale. Comme avec toutes les HE, il est nécessaire de respecter les précautions, ne pas utiliser chez l’enfant, la femme enceinte ou pendant l’allaitement, toujours s’assurer de la bonne tolérance cutanée par une touche d’essai 48h avant l’utilisation , et ne pas insister si l’odeur incommode ou déplaît. Soyez très vigilants sur la conservation des votre HE: une huile oxydée devient irritante sur la peau.
Une utilisation cosmétique est possible, en guise d’antirides: HE encens diluée dans une huile végétale adaptée, en application sur le visage, en cures de quelques jours. Attention à la dilution (0,5 à 1%) et à la tolérance, et n’utilisez qu’une huile végétale (argan, jojoba, avocat par exemple), mais en aucun cas une crème cosmétique.
Parmi les HE encens, celle issue de Boswellia papyrifera, un encens récolté au Kenya, a une place à part. Elle a une activité intéressante sur l’anxiété et fait l’objet de recherches pour ses effets psycho-actifs et une éventuelle indication sur la dépression.
Prudence…
L’encens est commercialisé comme complément alimentaire et non comme médicament: il n’existe donc pas d’études systématiques d’interactions médicamenteuses. Lorsqu’elles sont décrites, c’est qu’il est survenu un effet indésirable, plus ou moins grave. En outre, il est extrêmement difficile d’établir des posologies, de par la nature extrêmement diverse des produits commercialisés, de par leur forme (extrait et poudre par exemple, n’ont pas la même composition) , leur dosage, l’ambiguïté fréquente dans les formulations (la dénomination latine n’est pas toujours présente), l’absence d’identification des principes actifs (que contient la gélule d’encens? quelle quantité de serratol? d’acétate d’incensole? d’alpha pinène? etc) .
Dans ce cadre, la prudence st indispensable: ne prenez pas de compléments alimentaires à base d’encens si vous suivez un traitement régulier. Ne prolongez jamais une cure de phytothérapie. Encore une fois, ce n’est pas parce qu’un produit est naturel qu’il est sans danger (si vous n’êtes pas convaincu de cette évidence, pensez aux poisons que sont la ciguë ou les venins de certains reptiles, au mercure ou au curare…)
Une recherche active et prometteuse
Une activité probable sur l’anxiété
Si l’encens est brûlé dans un cadre religieux ou spirituel dans tant de régions du monde, c’est qu’il doit bien posséder des propriétés sur l’esprit des hommes… En effet, des analyses récentes ont permis d’isoler des molécules psycho-actives, avec une probable activité anxiolytique, antidépresseur.
L’une des molécules analysées, l’acétate d’incensole, est plus abondante dans le Boswellia papyrifera, corroborant ainsi son usage traditionnel . Comme toujours en phytothérapie, il convient de considérer la plante dans son intégralité et pas uniquement les molécules isolées.
Des recherches sur les maladies neurodégénératives
À l’heure actuelle (décembre 2021), il s’agit d’études chez l’animal ou in vitro, donc sans application clinique immédiate en médecine humaine. L’encens, et en particulier la résine de Boswellia serrata, contient une molécule qui présente des effets protecteurs sur l’inflammation neuronale et les phénomènes oxydatifs, et semble (chez le Rat dans cette étude) améliorer les capacités d’apprentissages et réduire les altérations de la mémoire.
Cette même molécule (l’acétate d’incensole) exerce un effet protecteur après accident vasculaire cérébral, chez l’animal (en l’occurrence des souris).
Les recherches se poursuivent pour une application dans des maladies neurodégénratives.
Des recherches sur le développement de certains cancers
Dans ce domaine aussi, les études sont nombreuses, mais sans application clinique dans un avenir proche, puisqu’il s’agit de recherches menées sur des cultures de cellules ou des animaux: il faut se garder d’extrapoler à une utilisation chez l’Homme. Des résultats intéressants ont été obtenus avec une huile essentielle de Boswellia sacra sur des lignées de cellules de cancer du sein, de la vessie, dans d’autres études, résultats similaires avec des lignées cellulaires pour l’adénocarcinome du pancréas.
Si ces études sont pour le moment sans pertinence clinique, l’utilisation des huile essentielles d’encens dans les soins de support est possible en respectant toutes les précautions indispensables.
L’inutile et le superflu…ou pas
Du feu de Dieu?
L’encens est associé aux célébrations dans les traditions chrétiennes, le bouddhisme et le shintoïsme. L’encens est un produit précieux, cadeau apportés par les Rois Mages à l’enfant Jésus dans la tradition chrétienne.
L’étymologie rapproche l’encens de l’incendie: le latin incensum est à l’origine des deux mots. Le symbolisme de l’encens relève ainsi à la fois de celui de la fumée, de celui du parfum, de celui des substances incorruptibles qui le composent. L’encens accompagne la prière vers le ciel. L’encensement a toujours le même sens: relier l’Homme au divin. Quels que soient la religion, le contexte et la géographie, il marque l’alliance avec les dieux, et le rôle de purification de la fumée.
À ce rôle spirituel des fumigations d’encens, s’ajoute un rôle de purification de l’air: bûller de l’encens et de la myrrhe répond aussi à des préoccupations d’hygiène, pour parfumer l’air intérieur et lutter contre « les miasmes ». Les composés des myrrhes et encens contiennent en effet des substances dont l’action anti microbienne ne fait aucun doute. Néanmoins, il convient de ne pas oublier que la combustion dégage aussi des substances toxiques (goudrons, acroléines) .
Une histoire vieille comme le monde
Au IIIème millénaire avant notre ère, les Égyptiens, grands voyageurs, introduisaient dans leur pays des plantes exotiques, au rang desquelles figuraient des Boswellia, arbres à encens.
Des parfums précieux
Les parfumeurs intègrent aussi l’encens dans leurs compositions, pour des fragrances d’inspiration orientale, Shalimar de Guerlain ou Opium d’Yves Saint-Laurent.
et les encens à brûler
Ils se présentent sous la forme de bâtonnets ou de cônes et sont qualifiés d’encens: il s’agit de produits fabriqués à partir de broyats végétaux dont la composition précise n’est pas établie. Les bâtons d’encens sont souvent agglomérés avec de la gomme arabique ou un agglomérant de synthèse sur du bois de santal ou un bois non déterminé. Attention à l’utilisation de ces produits: ils dégagent des particules et des COV (Composés organiques volatils) dont certains sont cancérigènes (benzène, acroléine, formaldéhyde etc) Leur combustion présente un risque potentiel pour la santé.
Le mot de la fin
à Charles Baudelaire
Dit par Denis Lavant :
Harmonie du soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Les fleurs du Mal
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
Bibliographie et ressources « textiles »
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https://www.iucnredlist.org/species/34533/9874201
Notes
- les botanistes ne s’accordent pas sur le terme: gomme-résine ou gomme-oléorésine ou oléorésine… Si ce débat vous semble avoir une importance capitale, vous pouvez approfondir dans le Trease & Evans Pharmacology, Ed.Saunders.
- UICN= Union Internationale pour la Conservation de la nature
Auteur de l’article: Sabine Robin, docteur en Pharmacie, DU phyto-aromathérapie clinique, DU micronutrition exercice et santé.
L’auteur déclare ne présenter aucun conflit d’intérêt financier avec l’industrie pharmaceutique ou laboratoire ou fabricant de produits ou matériels médicaux.
Dernière mise à jour 28 décembre 2021