Qui n’a jamais soufflé sur les aigrettes de pissenlit? Mais avant d’illustrer la devise d’un célèbre dictionnaire, le pissenlit est une plante médicinale et alimentaire.
Un peu de botanique
Le pissenlit Taraxacum campylodes (= officinale L.), encore appelé dent-de-lion, appartient à la famille des Astéracées (autrefois Composées). La jolie fleur jaune vif est en réalité un capitule: un groupe de fleurs à 5 pétales soudés. Ce qui semble être un pétale est en réalité une fleur entière. Les feuilles sont disposées en rosette, découpées en lobes triangulaires inégaux (comme des dents de lion!). Les fleurs sont regroupées en capitule (un seul par pied de pissenlit). La racine est enfoncée dans le sol .
Une plante médicinale
La sagesse populaire a bien nommé le pissenlit, par une allusion évidente à ses vertus diurétiques: en 1537, Jean Ruel, médecin botaniste écrit que « les enfants qui en mangent sont exposés à de fâcheux accidents nocturnes ».
On utilise les parties aériennes et les racines, séchées et fragmentées. Les feuilles se préparent en infusion, les racines en décoction. On prépare aussi des extraits de plante fraîche (EPS, SIPF), des poudres, des extraits secs, qui seront présentés sous forme de gélules ou de comprimés: une forme souvent appréciée, car elle évite l’amertume inhérente au pissenlit.
Le pissenlit est très riche en potassium, en principes amers (des lactones sesquiterpéniques pour les intimes) . Une particularité: les fleurs contiennent un acide aminé soufré (la cystéine).
Eliminer de l’eau
C’est la vertu la plus connue du pissenlit, en feuilles ou en racines: le pissenlit est diurétique.
et protéger le foie
Des études portant sur des Rongeurs ont montré que le pissenlit protège le foie des effets néfastes de l’alcool: il serait inconsidéré d’en tirer des conclusions dans l’espèce humaine. En revanche, le pissenlit est un cholagogue et cholérétique reconnu (il facilite la sécrétion et l’élimination de la bile): une plante qui aide donc l’organisme à éliminer par voie urinaire et digestive.
C’est une plante amère, donc apéritive: elle stimule l’appétit, comme par exemple la gentiane.
Les usages traditionnels
Le pissenlit est un dépuratif: c’est un remède de prévention des crises de goutte, une tisane contre les calculs rénaux et les douleurs rhumatismales (c’est le cas pour d’autres plantes diurétiques, comme le frêne ou la prêle). C’est aussi un drainage utile après une grippe.
Autre usage traditionnel, maintes fois vérifié: l’effet bénéfique sur la peau, en particulier les eczémas ( en tisanes quotidiennes, par cures de 2 ou 3 semaines)
L’usage externe du pissenlit s’est perdu avec le temps, mais on peut l’utiliser pour atténuer les taches de rousseur: il faut préparer une décoction avec les capitules bien épanouis, cueillis de préférence vers midi. Faire bouillir une demie-heure puis filtrer. Utilisée régulièrement, cette lotion atténue puis fait disparaître les taches de rousseur selon M.-A. Mulot.
Des précautions d’emploi
Le grand recul d’utilisation (le pissenlit apparaît dans des traités médicaux depuis Albert le Grand au XIIIème siècle) est rassurant: le pissenlit n’est pas toxique. Néanmoins, son utilisation n’est pas recommandée chez l’enfant, la femme enceinte ou allaitante, les patients diabétiques (un cas, un seul, d’hypoglycémie a été notifié chez une patiente souffrant d’un diabète de type 2 sous traitement insulinique), chez les insuffisants rénaux (comme avec toutes les plantes diurétiques) et les insuffisants cardiaques. Par prudence toujours, éviter le pissenlit en cas de calculs biliaires.
Comme toutes les plantes amères, elle peut irriter l’estomac: dans ce cas, à prendre de préférence en fin de repas.
N’oubliez pas, les plantes sont des produits actifs, ne prolongez pas les traitements: les cures de pissenlit ne doivent pas dépasser 6 semaines. En pratiques, des cures de 3 semaines sont suffisantes, à renouveler après 3 ou 4 semaines d’arrêt.
Aucune interaction médicamenteuse n’est connue.
Le latex peut être responsable d’allergies cutanées (c’est exceptionnel).
Une plante alimentaire
Les feuilles de pissenlit se mangent en salade, elles ont un goût légèrement amer, sont riches en vitamine C et en carotènes. C’est un délice dans un sandwich,en guise de condiment . On peut aussi les faire cuire, comme les épinards ou les orties.
Ne craignez pas de « manger les pissenlits par la racine« : elle est parfaitement comestible, il faut veiller à bien la laver (évitez de l’éplucher pour ne par perdre de nutriments). Elle n’a pas le même goût selon que vous la récoltez en automne ou au printemps (plus moelleuse et riche en inuline en automne, un sucre « prébiotique »: qui nourrit la flore intestinale, et plus riche en fructose au printemps).
Vous pouvez aussi en faire un succédané de café: faire sécher les racines au soleil, puis les rôtir au four, jusqu’à ce qu’elles deviennent cassantes, moudre, et utiliser comme du café. C’est avec la racine d’automne que vous aurez le meilleur résultat.
Une recette tirée de l’excellent Food for free de Richard Mabey: racine de pissenlit à la japonaise
Couper en rondelles de belles racines de pissenlit, les faire revenir dans un peu d’huile, ajouter un peu d’eau et de sauce soja et laisser bouillir jusqu’à évaporation. Accompagné de nouilles soba et d’une salade de feuilles de pissenlit, c’est un plat tout bon tout facile!
Les capitules en boutons peuvent être confits au vinaigre, et utilisés comme des câpres. Les capitules fleuris entrent dans la composition de vins ou de liqueurs: voici une recette de vin ( à consommer avec modération, selon la formule consacrée) qui se rapprocherait, dit-on, du vin de raisin:
Prendre 1 kg de fleurs, faire bouillir dans 4 litres d’eau, laisser macérer 24 heures à douce chaleur, ajouter 500g de sucre, filtrer après refroidissement et ajouter de la levure de vin de Moselle.
Le pissenlit a connu son heure de gloire sur les marchés. Comme pour les chicorées, on peut le blanchir: il faut recouvrir les feuilles de terre ou de paille. La technique s’était développée à Dunkerque: le pissenlit blanc de Dunkerque s’exportait aux Pays-Bas et en Belgique, à la fin du XIXème siècle.
Et puis l’inutile et le superflu (ou pas)
Une plante aussi commune a bien sûr beaucoup de dénominations, le pissenlit, c’est aussi la salade de taupe, la chopine, la couronne de moine, le coq, la laitue de chien et le groin d’or.
Une espèce proche cultivée en Russie fait l’objet de recherche pour l’extraction d’un caoutchouc.
Une horloge?
Savez-vous lire l’heure au pissenlit? La précision n’est pas garantie, mais il existe plusieurs techniques: il vous faut un pissenlit monté à graines. Combien de souffles faut-il pour faire envoler toutes les aigrettes? Cinq? il est cinq heures!
D’autres procèdent ainsi: soufflez une fois et comptez les aigrettes restantes, vous avez l’heure!
Plus certainement, les fleurs du pissenlit s’ouvrent vers 5 heures du matin et se ferment vers 8 heures du soir, servant d’horloge aux bergers.
Un amour de fleur
Et un folklore qui se rapproche de la marguerite à effeuiller: soufflez sur un capitule en graines, si vous faites envoler toutes les graines d’un seul souffle, vous êtes passionnément aimé! mais plus il reste des graines, moins l’amour est partagé.
Pour envoyer un message d’amour, souffler sur la graine: les mots doux seront fidèlement transportés. Et s(il reste quelques aigrettes, c’est signe que vous n’êtes pas oublié(e)…
Je sème à tout vent
Le grand dictionnaire de Pierre Larousse comporte 20 700 pages en 1876. C’est aussi à cette date qu’Emile Reiber dessine le premier logo de la société. L’architecte et décorateur français choisit le pissenlit, pour ses graines qui se dispersent au vent, et ajoute à son illustration la devise «Je sème à tout vent».
Le vol du pissenlit
Et savez-vous que les graines de pissenlit de de dispersent pas passivement? De savantes expériences ont montré qu’au dessus du pappus (c’est ainsi que se nomme l’aigrette pour les botanistes) se crée une bulle d’air, formant un tourbillon qui entraîne la graine du pissenlit? (pour les curieux, un podcast en français ici , émission du 6 décembre 2018, un court article en anglais là ).
Le mot de la fin…
à Sidonie Gabrielle Colette
Tout près de Paris, à vos pieds, promeneurs, cette rosace délicate c’est le jeune pissenlit, et cette perle en son centre, c’est sa future fleur.
Belles saisons
Bibliographie succincte
Breverton’s Complete herbal, based on Culpeper’s The English Physitian and Compleat Herball of 1653 Éd.Quercus
Jean Bruneton Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales , 5ème édition, ED.Lavoisier Tec et doc
Michel Chauvet Encyclopédie des plantes alimentaires Ed.Belin 2018
Michel Dubray Guide des contre-indications des principales plantes médicinales Ed.Lucien Souny
Jacques Fleurentin, Jean-Claude Hayon, Jean-Marie Pelt Des plantes qui soignent Ed. Ouest-France2018
Paul-Victor Fournier Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France Éd. Omnibus
Paul Goetz La grippe Phytothérapie (2017) 15:23-26
Paul Goetz Les secrets des associations synergiques de plantes facilitant le fonctionnement biologique hépatobiliaire Phytothérapie (2016) 14:83-87
A. Khouchlaa, M. Tijane, A. Chebat, S. Hseini et A. Kahouadji Enquête ethnopharmacologique des plantes utilisées dans le traitement de la lithiase urinaire au Maroc Phytothérapie (2017) 15:274-287
Pierre Lieutaghi La plante compagne Pratique et imaginaire de la flore sauvage en Europe occidentale Actes Sud 1998
Richard Mabey Food for free Collins gem
Nathalie Machon, Eric Motard ça pousse près de chez vous Diffusion Volumen 2016
Marie-Antoinette Mulot herboriste diplômée Secrets d’une herboriste Éd.Dauphin
Max Wichtl, Robert Anton Plantes thérapeutiques Tradition, pratique officinale, science et thérapeutique 2ème édition, Ed.Lavoisier, Tec et doc
University of Edinburgh. « Dandelion seeds reveal newly discovered form of natural flight: Why the plant is among the best fliers in the natural world. » ScienceDaily. ScienceDaily, 17 October 2018.