L’if

If, Taxus baccata, Taxacées

Botanique

L’if à baies est l’espèce européenne. Il se caractérise par ses feuilles (« aiguilles ») sur deux rangs, ses fruits en forme de baie rouge et charnue, renfermant une seule graine. Il est totalement dépourvu de résine.

Tous les ifs ne portent pas de fruits: l’arbre est dioïque (il existe des pieds mâles et des pieds femelles): seuls les arbres femelles portent les fruits. C’est le vent qui transporte le pollen , mais la fleur femelle est réduite à un ovule enserré dans des écailles: difficile de capter le pollen. Lorsque l’ovule est prêt, la fleur sécrète un liquide sucré qui suinte au sommet des écailles: le pollen y adhère et atteint ainsi l’ovule.

C’est un arbre d’une rare longévité: on estime à 3000 ans l’âge du plus gros if connu (en Écosse).

Ethnobotanique

L’if était un symbole de mort: d’une part, il est particulièrement toxique, d’autre part, c’est un arbre sacré (chez les Celtes, il fait le lien entre les morts et les vivants, il existait quelques ivaies sacrées ).

Les forêts d’ifs en  Europe occidentale ont disparu depuis longtemps: arrachés par les éleveurs pour éviter les empoisonnements du bétail, exploitation du bois pour les arcs et les flèches pendant la guerre de Cent-Ans, utilisation du bois en menuiserie et ébénisterie.

Luthiers, ébénistes et armuriers

Le bois d’if est imputrescible, ce qui a permis d’en trouver des traces dans des fouilles archéologiques: un arc daté d’environ 100 000 ans est le plus ancien objet connu en bois, découvert dans l’Essex. Un peu plus proche de nous, une sagaie en if fichée dans les côtes d’un mammouth a été mise au jour en Basse-Saxe. Le bois dur de l’if servait de pointes de flèches. Les feuilles fournissaient un poison pour les flèches.

C’est la fabrication d’armes, arcs, arbalètes, flèches, qui représente la plus forte utilisation d’ifs: à telle enseigne que les forêts locales ne suffisant pas, un commerce fort lucratif se mit en place. En Angleterre, les ministres incitaient la population à planter des ifs , des Plantagenêts au Tudors. Rien paraît -il ne surpasse l’if pour la qualité d’un arc: souple et élastique.

Résistance au pourrissement, dureté: le bois d’if a servi à la fabrication d’objets ménagers, d’outils, de tuyaux, depuis l’Antiquité.

Le bois d’if est apprécié des luthiers, pour les luths et les violes au XVIème siècle.

Et aussi…

Rien à voir ou presque: les ifs sont souvent taillés en forme de pyramide. Par analogie, on nomme if les supports coniques servant à égoutter les bouteilles!

Un arbre toxique

Toutes les parties de l’if sont toxiques, sauf l’arille, la partie charnue qui entoure la graine . Même la poudre de bois qui se dégage lors du travail artisanal est toxique. Ni la dessiccation, ni la cuisson ne détruisent le poison, la chair des animaux empoisonnés devaient aussi toxique. Pline raconte que des tonneaux fabriqués en Gaule en bois d’if ont empoisonné le vin qu’ils contenaient.

Traditionnellement plantés dans les cimetières, les ifs étaient un véritable danger pour les chevaux qui tiraient les corbillards: gare au cocher inattentif qui laissait ses chevaux goûter aux rameaux verts. Il s’est produit de nombreux empoissonnements de chevaux pendant la Première Guerre Mondiale. En 2000, deux ours du zoo de Nancy sont morts, empoisonnés par des branches d’ifs que leur avait tendues un visiteur. En 2003, c’est une femelle chimpanzé qui meurt empoisonnée par de l’if. En revanche, certaines espèces semblent insensibles au poison: lapins, chats… Des oiseaux sauvages sont friands de ses fruits: la graine, non mâchée, ne les empoisonne pas et sont répandues dans les déjections, favorisant ainsi la dissémination.

La graine  est particulièrement amère: en général, les enfants curieux la recrachent immédiatement, ce qui limite  le danger. Néanmoins, il faut appeler un centre anti-poison en cas d’ingestion de la graine ou d’aiguilles d’if. Pour les animaux, on considère en général que l’ingestion de la baie ne présente pas de risque si elle n’est pas mâchée, mais comme toute la plante est toxique, les herbivores sont exposés (la dose mortelle est estimée à 0.5 à 2g/kg de poids corporel chez le cheval par exemple). Les équidés sont particulièrement vulnérables.

La molécule toxique est la taxine, c’est un poison du cœur et du système nerveux, un anesthésique narcotique (la mort survient par paralysie du cœur et asphyxie.

Du poison au médicament

if sabine robin naturopathe amiens

Les arilles, c’est-à-dire la partie rouge charnue qui entoure la graine, étaient utilisées jusqu’au XIIIème siècle, comme adoucissantes et laxatives (présence de mucilages) . C’est un usage totalement disparu aujourd’hui.

D’un poison de flèche à un poison du fuseau

écorce d’if

Dans les années 1960 aux États-Unis le National Cancer Institute lance une série de tests dans l’espoir de développer de nouveaux médicaments anti-cancéreux, 35 000 plantes sont testées, dont l’if. L’if du Pacifique est prometteur: en 1972, Wall isole une première molécule, le paclitaxel ou taxol, anti cancéreux (classé dans les « poisons du fuseau »: il agit au moment de la division cellulaire). Mais, plusieurs inconvénients: la synthèse est très délicate et de mauvais rendement, l’extraction de l’if nécessiterait l’écorce de 6 ou 7 ifs centenaires pour un seul traitement, et la molécule est difficile à administrer. La recherche se poursuit pour améliorer la synthèse. En 1979, des chercheurs français font avancer les expérimentations: des ifs bordant une route sont abattus, toutes les parties des arbres sont récupérées et de nouveau étudiées: Guénard découvre une molécule proche du taxol dans les aiguilles. L’idée est simple: « yaka » partir de cette molécule et la transformer pour fabriquer ce fameux taxol, c’est ce qu’on appelle une hémi-synthèse, plus simple techniquement que la synthèse totale. Mais la science est pleine de surprises: une erreur de manipulation conduit à la production de taxotère (docétaxel)  et non du taxol attendu. Et  miracle de sérendipité, ce taxotère est deux fois plus actif que le taxol.

Aujourd’hui, paclitaxel et docétaxel sont utilisés dans les traitements de certains cancers du sein de l’ovaire, des broches, de la prostate, de l’estomac. Ce sont des médicaments puissants, aux effets indésirables parfois sévères.

Le mot de la fin

Il ne faut pas plus d’argent pour construire une vilaineprison que pour faire une maison agréable. Il n’en coûte pas plus pour planter unjardin bien entendu que pour tailler ridiculement des ifs, et en faire desreprésentations grossières d’animaux. 

Voltaire, Dialogue avec un contrôleur général.

Pour aller plus loin

Actes de la journée d’étude Le bois : instrument du patrimoine musical – Cité de la musique – 29 mai 2008  Les bois dans la facture des instruments de musique en Europe, XVIe et XVIIe siècles. Joël Dugot, conservateur, Musée de la musique, Paris

http://www.toxophilus.org/articles/francais/if_bois.html (consulté le 11 octobre 2018)

Jean Bruneton Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales , 5ème édition, ED.Lavoisier Tec et doc

Paul-Victor Fournier Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France Éd. Omnibus

Jacques Fleurentin, Jean-Claude Hayon  Des plantes toxiques qui soignent Ed. Ouest-France 2011

Henriette Walter , Pierre Avenas La majestueuse histoire du nom des arbres Ed.Robert Laffont, 2017

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